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Accord sur le climat à l’arraché pour Make it Work, la simulation grandeur nature de la COP21

Accord sur le climat à l’arraché pour Make it Work, la simulation grandeur nature de la COP21

« Cela a été très chaud : les délégués viennent à l’instant de parvenir à un accord », annonce, dimanche 31 mai, l’une des guides de Make it Work, le théâtre des négociations de Nanterre qui « a joué pour comprendre, agir, et transformer » la COP21, la future conférence de l’ONU sur le climat.
En écho à ses paroles, des cris de joie retentissent à l’intérieur de la salle transformable, scène de la négociation plénière. À 18 h 15, le texte est adopté sous un tonnerre d’applaudissements de plusieurs minutes. Certains participants s’étreignent : « Bravo, bravo ! » Le rideau de fer par lequel transitent d’habitude les décors du théâtre des Amandiers est levé et le soleil fait une apparition.

Lors d’une interruption de séance, le G8 débriefe. Veste rose et chemise blanche, Jennifer, sa présidente, consulte des délégués - © Martin Argyroglo

Lors d’une interruption de séance, le G8 débriefe. Veste rose et
chemise blanche, Jennifer, sa présidente, consulte des délégués – © Martin Argyroglo

Une expérience politique et artistique hors norme

Pour les 208 étudiants venus du monde entier (47 universités-écoles dont 24 étrangères) qui représentent 41 délégations (des villes, des espèces en danger et 21 États), c’est une délivrance (1). Réunies à l’initiative de Sciences Po, ces délégations composées de 5 entités (2) négocient depuis le jeudi 28 mai 13 heures : les étudiants y ont passé toute la nuit de samedi, jusqu’à 8 heures et ont enchaîné dimanche toute la journée, pour certains sans dormir.

Normalement, la signature du traité était prévue à 14 heures. Tout est un peu bousculé : ils nous ont demandé quelques heures de plus pour négocier, résume Frédérique Aït-Touati, chercheur au CNRS et membre de SPEAP (Sciences Po École des Arts en Politique).

Le pari, c’est de faire dans un théâtre une expérience à grande échelle pour simuler une négociation climatique six mois avant, en changeant la donne et le type de délégation.

Laurence Tubiana s’adressant aux 200 étudiants de Make it Work - © Martin Argyroglo

Laurence Tubiana s’adressant aux 200 étudiants de Make it Work – © Martin Argyroglo

Si vous parvenez à un accord, je pourrai l’amener et m’en servir comme exemple lors de la  ‘vraie’ conférence climat en décembre prochain à Paris, avait lancé, lors du coup d’envoi de Make it Work, Laurence Tubiana, la représentante de Laurent Fabius à la COP21.

Avec la présence de délégations non étatiques (les forêts, les océans, l’atmosphère, les espèces et les territoires en danger) aux côtés des États, « on fait exploser le cadre onusien classique », souligne Frédérique Aït-Touati. « On met tout le monde autour de la table pour que chacun donne sa vision du monde ». Mais dans le feu de la négociation, ces délégations représentant des non-humains se sont retrouvées avec beaucoup moins de moyens de marchander que les autres et leur légitimité a été contestée par certains États.

« Le cadre de la négociation pèse : ce n’est pas un carcan, dont on se débarrasse facilement », explique Matthieu aux visiteurs, alors que les délégués finalisent le texte, dont la signature a été retardée faute d’accord. « Un vrai suspens digne de Game of Throne ! » - © Laurent Lefèvre.

« Le cadre de la négociation pèse : ce n’est pas un carcan, dont on se débarrasse
facilement », explique Matthieu aux visiteurs, alors que les délégués finalisent le texte,
dont la signature a été retardée faute d’accord. « Un vrai suspens digne de Game of
Throne ! » – © Laurent Lefèvre.

Quatre jours et une nuit de négociations tendues

Dépourvue de ses sièges et de sa scène, la salle transformable occupée par la négociation plénière paraît immense, comme un grand paquebot éventré qui s’offrirait au regard. De la passerelle où le public est admis temporairement lors des dernières heures de discussion, on est pris d’un bref vertige devant la multitude, comme lors de la contemplation des clichés d’Andreas Gursky.

Dans la salle transformable, les délégués réunis en plénière n’ont plus que quelques heures pour arracher un accord sur le climat - © Laurent Lefèvre.

Dans la salle transformable, les délégués réunis en plénière n’ont plus que quelques
heures pour arracher un accord sur le climat – © Laurent Lefèvre.

En voie de finalisation, le contenu de l’accord (Official draft 6* of the negociating text) mange tout l’espace de la scène. Composé de sept filles et d’un vice-président surnommé « Monsieur sérieux », le G8 est installé à droite de l’écran, derrière deux tables orthogonales en bois. Jennifer, la présidente de ce G8 qui assure le secrétariat de la négociation préparée d’arrache-pied, distribue la parole aux 180 délégués présents qui les encerclent.

Malgré l’urgence et l’imminence de la signature, le texte composé de deux parties (« vision » et « pathway » : les moyens) est amendé phrase par phrase, mot à mot, jusqu’à l’obtention d’un consensus. Lorsqu’un article ne l’obtient pas, il est abandonné.

Quand ce consensus est atteint sur un article, la présidente du G8 assène un léger coup de marteau et quelques applaudissements retentissent. Vers 15 h 50, le climat fait irruption – au sens propre – dans la salle transformable :

It is raining in the theatre, s’exclame un délégué constatant une fuite. Est-ce qu’un technicien peut s’occuper de la pluie ?

Dehors, l’eau tombe dru, puis s’arrête net : l’averse a ramené un peu d’air frais dans le théâtre surchauffé. Jennifer glisse sur l’incident : « Let’s move on delegates. Russia : you may have the floor ! » Pas de temps mort, le G8 veille à la fluidité des débats : « Let’s decide. A very good comment ! India ? All right, is there a consensus on this ? » Comme les préparations en amont, toute la négociation se déroule en anglais : de l’indien au chinois en passant par le français et l’espagnol, de nombreux accents sont représentés.

En marge de la plénière, le délégué de l’Union européenne, alias Quentin Maréchal diplômé de l’école des Mines de Nantes, négocie avec des représentants des pays émergents - © Laurent Lefèvre.

En marge de la plénière, le délégué de l’Union européenne, alias Quentin Maréchal
diplômé de l’école des Mines de Nantes, négocie avec des représentants des pays
émergents – © Laurent Lefèvre.

Malgré la fatigue, l’ambiance reste tendue : les visages sont graves et concentrés. Pour régler un point précis, des négociations parallèles ont lieu, en catimini, au fond de la salle, près d’une sortie, où se déroulent également des échanges passionnés. « Why are you here : it’s a shame », se rebiffe le délégué de l’Inde qui exige des pays développés des engagements chiffrés. À quelques minutes de la signature, la tension est palpable et quelques rappels à l’ordre fusent : « Can I ask your silence ? South Africa and EU, please come back on the stage ! »

Make it work : les étudiants jouent la COP21

Une nuit agitée

Dans la nuit, certains délégués se sont un peu détendus : « Il était trois heures du matin et nous avions utilisé tout notre temps de cerveau disponible », s’amuse le maire de Mexico City, alias Clément, jeune diplômé de Sciences Po Paris. Certains délégués, qui ont été jusqu’à l’épuisement, n’ont pourtant rien lâché :

Il a à peine dormi. Je ne sais pas comment il a fait : il doit être non humain, rigole un participant qui accuse la fatigue.

Dimanche au cœur de la nuit, la France divisée s’est retrouvée mise à l’écart : quand il n’y a pas de consensus au sein d’une délégation, celle-ci devient observateur et ne peut plus participer aux votes. « Vers 2 heures du matin, c’est ce qui est arrivé à la délégation française qui a aussi joué un rôle d’impulsion lors de ces négociations », explique le ministre de l’Environnement du Nigeria.


Théâtre des négociations : dessine-moi un accord sur le climat !

Négocier autrement

Pendant les deux jours qui ont précédé la négociation, les délégués ont assisté à des ateliers artistiques animés par des membres de SPEAP dirigé par Bruno Latour, à l’origine du projet : les étudiants ont dessiné « leur territoire et leur vision du futur », chanté tous ensemble pour « créer de l’harmonie dans la cacophonie » et pratiqué des exercices théâtraux avec une chorégraphe et un comédien de SPEAP. Avec l’anthropologue Sophie Houdart, ils ont appris à incarner les entités qu’ils représentent « pour mieux rentrer dans le personnage, pour le vivre et parler en son nom. »

Quand les mots ont manqué ou fait obstacle lors de la discussion, les délégués ont eu recours à leur imagination et ont transformé les tables de négociation – spécialement conçus pour l’événement par des étudiants d’Art déco – en planche à dessin. Pour débloquer une situation, ils ont inventé « de petites histoires qui parlent à toutes les entités » et proposé des jeux de mots et des supports visuels.

Scénographie soignée et délégués choyés

À l’intérieur comme à l’extérieur, le théâtre s’est couvert de croquis, de slogans et de revendications. Multiformes, ces appels sont partout… jusque dans les toilettes !

Entre espoirs et apocalypse, même la librairie du théâtre lance des SOS et des injonctions à l’action… jusque dans les toilettes !

Le climat est l’invité d’honneur de la librairie du théâtre des Amandiers de Nanterre - © Laurent Lefèvre.

Le climat est l’invité d’honneur de la librairie du théâtre des Amandiers de Nanterre – © Laurent Lefèvre.

Dans ce lieu dédié à l’art dramatique, les organisateurs ont soigné la scénographie et veillé à la santé des délégués. Dans l’attente d’une interruption de séance, Païse leur prépare des plateaux-repas, bio et de saison.

Pour leur repos, deux espaces ont été spécialement aménagés : une salle de projection et de détente et un plan d’eau entouré de transats installé dans l’atelier de construction de décors conçu par Patrice Chéreau, directeur des Amandiers de 1982 à 1990. Ce lieu, où règne une quiétude apaisante, a été habité par les délégués qui s’y sont réunis pour des discussions informelles.

Installé dans l’atelier de construction de décors, cet espace a servi aux délégués pour se reposer et prolonger la négociation dans un cadre informel - © Martin Argyroglo

Installé dans l’atelier de construction de décors, cet espace a servi aux délégués pour se
reposer et prolonger la négociation dans un cadre informel – © Martin Argyroglo

Scénographiés pour l’événement par le collectif d’architectes RaumlaborBerlin, les différents espaces font partie des dispositifs pensés pour faciliter la négociation.

C’est marrant de constater l’influence du cadre sur les négociations elles-mêmes : l’ambiance et les processus de travail différaient totalement quand l’on se trouvait dans la salle transformable ou dans la grande salle, se remémorent les membres de la délégation ville. On a eu la chance de travailler dans un cadre exceptionnel, avec beaucoup de moyens pour que l’on s’y plaise afin de faire quelque chose d’innovant. 

Les enseignements pour la COP21

« Nous avons redéfini la notion de territoire », rappelle la présidente du G8 lors de son discours de clôture.

Ce processus s’est souvent heurté à des crises et à des désaccords : la planète bleue n’unifie pas, elle divise. Afin d’éviter un écocide, nous avons compris qu’il était nécessaire de recomposer, de repenser nos politiques publiques et nos modèles de gouvernance climatique. Nos négociations se terminent, mais ce n’est qu’un début, un point de départ.

« C’est une victoire : avec une marge de main-d’œuvre réduite, nous avons fait preuve d’humilité et de responsabilité », souligne un représentant de la France.

Les participants ont su aussi reconnaître et mettre de côté leurs divergences : malgré la création de groupes de contact pour forger des amendements en cas de blocage, beaucoup d’articles (« ghost articles ») ont été refusés, faute de consensus. Pour obtenir cet accord de 30 pages, fruit de compromis et de négociations ardues, plusieurs mois de travail en amont ont été nécessaires – certaines délégations se préparent depuis fin janvier.

La cérémonie de clôture de Make it Work : les délégués assis s’apprêtent à venir signer l’accord - © Laurent Lefèvre.

La cérémonie de clôture de Make it Work : les délégués assis s’apprêtent à venir signer
l’accord – © Laurent Lefèvre.

« The most important is to have a vision for a common future : the world we want to live in [le plus important, c’est d’avoir une vision pour notre futur commun : le monde dans lequel nous voulons vivre] », insiste un délégué. « We gave a voice to the voiceless but it will not be the case in December [nous avons donné une voix aux sans-voix, mais cela ne sera pas le cas en décembre lors de la COP21] », modère un autre.

Les déserts, les sols, les forêts, les océans ont été invités à la table des négociations : nous avons montré comment défendre les intérêts des nons-humains, se félicite un participant.

« À un moment, on a fait éclater les formats de discussion : on a pensé autrement les négociations climatiques », analyse un délégué. « Pour s’attaquer au formalisme qui réduit la marge de négociation, il faut faire s’asseoir les futurs représentants de la COP21 dans l’herbe sans le costard ! », renchérit une autre.

Pour l’étudiant qui a représenté Laurence Tubiana au sein de la délégation française, le plus important maintenant, « c’est de passer à l’action ». « Agissons, agissez, let’s act, reprend un autre. Ne laissez pas les choses se dégrader : agissez maintenant, on aura moins à faire plus tard ! »

 


1.

Chaque étudiant a eu le choix de représenter la délégation qu’il voulait. La Chine était exclusivement représentée par des étudiants chinois, mais celle du Congo était composée par des étudiants russes. Dispersés dans différentes délégations dont celle de la France et de l’Union européenne, les étudiants français viennent de Sciences Po, Polytechnique, Mines, Paris School of Economics, Paris I Panthéon-Sorbonne, Paris II Panthéon-Assas, Paris 10 Nanterre, HEC, École Normale, école d’architecture Paris-Malaquais, Agro Paris Tech, Paris 6, d’écoles d’art…

2.

Chaque délégation devait définir ses cinq entités, en respectant des consignes du secrétariat de Make it Work – celles-ci devaient comprendre un « economic sector », un « civil society », un « endangered territory » (deux entités étaient laissées libres). Fin avril, chaque délégation et chaque entité ont rédigé leur « position paper » (feuille de route). Composée d’étudiants de Sciences Po Stratégies territoriales et urbaines, la délégation ville a choisi les entités suivantes : secteur de la construction, expert de l’énergie, réseau de villes, nature en ville et habitations informelles. Les entités de différentes négociations pouvaient négocier des textes entre elles : par exemple, les entités « ministres de l’Environnement » de plusieurs délégations représentant un État.

A propos de l'auteur

Laurent Lefèvre

Journaliste print et Web, je m’intéresse aux relations sciences-société (brevet, laboratoires pharmaceutiques…). Curieux par nature (un tic professionnel), je suis un passionné d’art contemporain et de spectacle vivant (théâtre et danse).

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