
BRICS : Une nouvelle banque pour le développement

Le lendemain du mondial de football, les délégations du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (BRICS) se sont données rendez-vous dans la ville côtière de Fortaleza, dans le Nord-Est brésilien. Le VIème sommet du groupe a commencé ses travaux avec les ministres du commerce, de l’économie, ainsi que les présidents des banques centrales de ces pays. A travers les unes des journaux, l’agenda fut mis en lumière : les discussions allaient porter sur la « Croissance inclusive et la quête de solutions soutenables », plus ponctuellement focalisées sur la création d’une banque et d’un fonds pour le développement.
La première ébauche pour la création de la Nouvelle Banque de Développement (NBD) fut tracée avec l’accord de Durban, lors de la Vème réunion des BRICS[1]. En ratifiant ces accords avec la déclaration de Fortaleza[2], les pays signataires ont réalisé une étape importante vers la consolidation de cette alliance. A travers le fonds de réserve, établi à 100 milliards de dollars et avec un capital initial de 50 milliards dans son avoir, cette banque attribuera des ressources financières, principalement destinées à la stabilisation des balances de paiements et au financement des investissements pour le développement des pays émergents et en voie de développement.
Nouveau vecteur de pouvoir
Cette structure sera l’instrument de certains pays en voie de développement, pour contourner la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International dans le financement de leurs projets stratégiques. Parmi les répercussions, on peut prévoir l’affaiblissement de ces institutions en raison d’une perte de légitimité de leurs recommandations, ainsi que l’atténuation de l’influence des principaux actionnaires dans l’orientation politique des pays emprunteurs.
Il est possible de prévoir que les principaux financeurs du FMI/BM (les Etats Unis et l’Union Européenne), exhortent à la bureaucratie de ces institutions à revisiter ses termes opérationnels et conditions de financements, visant une flexibilisation des protocoles pour les pays emprunteurs.
Une architecture financière consolidée au Sud (Sud dans le sens politique du terme) pourrait perturber la balance internationale de pouvoir et devenir, à terme, un levier de puissance géopolitique articulé et dirigé par les pays émergents.
Néanmoins un travail conjoint NBD – FMI est prévu. Christine Lagarde, directrice générale du FMI a déclaré :
Les services du FMI seront heureux d’œuvrer avec l’équipe des BRICS chargée de l’Accord de fonds de réserve, afin de renforcer la coopération entre tous les acteurs du dispositif de protection international destiné à préserver la stabilité financière mondiale [3].
La sécurité et la stabilité financière mondiale restent une priorité pour cet organisme, mais il reste aussi important d’y veiller pour le statut quo de l’influence de ses principaux partenaires face à ce nouveau vecteur de pouvoir. La Nouvelle Banque pour le Développement préfigure une force économico-financière potentiellement défiante à l’emprise déployée, jusqu’à maintenant de manière oligopolique par le FMI et la BM.
Diplomatie émergente
Les BRICS n’ont pas une homogénéité économique, cela est évident, mais à partir du sommet d’Iekaterinbourg, des pays distants culturellement tels que le Brésil et la Russie, avec un historique de relations si controversé tels que la Chine et l’Inde, gagnent progressivement une conscience politique commune. La NBD est l’une des vitrines de cet acquis.
Une partie considérable des pays en voie de développement adhère à ce processus de solidarité, à travers les programmes de développement communs (CELAC-BRICS e.g.), à travers les positions politiques communes au sein des grandes organisations multilatérales, ONU, OMC, BM, FMI. Nous voyons ce qui correspond à une solidarité de destins, qui se reflète dans des valeurs politiques revendiquées par les pays du Sud : des notions telles que la non-ingérence, la coopération Sud-Sud, le droit à l’autodétermination.
Pour comprendre un tel phénomène, faudra-t-il séparer les éléments conjoncturels, liés à la phase actuelle de ces économies, de leurs diplomaties ; des éléments plus structurels tels que : la nature de ses forces productives, la constitution politique de ses Etats et la composition sociale leur étant inhérents, autrement dit, la superstructure institutionnelle. Pour déconstruire et déchiffrer effectivement l’imaginaire collectif sur lequel s’appuient les thèses et les politiques qui rendent possible un tel espace d’alliance entre des pays si différents.
On voit actuellement la notion d’économie émergente, entraînée (à l’occasion) par les BRICS, se transformer graduellement en une notion beaucoup plus entreprenante de diplomatie émergente.
Vulnérabilité des économies de marché émergentes
Les BRICS sont de moins en moins des pays caractérisés par une croissance rapide et forte du PIB, cependant ils demeurent performants dans leur entrée active dans la mondialisation, notamment sur le plan financier, par une maîtrise des constructions institutionnelles et notamment des banques centrales.
Dans l’un de ses rapports, le FMI alerte la communauté internationale sur la vulnérabilité financière des pays émergents. Toutes les transformations institutionnelles et structurelles d’importance en cours, rendent atteignables toutes ces économies de marché émergentes, notamment à travers la mise à disposition d’une si grande quantité de ressources financières.
Au-delà du plan financier, la vulnérabilité des BRICS en tant qu’alliance est aussi réelle, des frictions entre ses membres (Chine – Inde i.e.) suffiraient pour bousculer cet organisme. Toutefois, d’une certaine façon les BRICS pourraient s’approprier l’expression de Galilée : E pur si muove (Et pourtant, il se meut). Car même avec beaucoup de différences entre ses membres, des problèmes socio-économiques à l’intérieur de ses pays, les BRICS avancent, au mépris de l’éventail d’aspects dysfonctionnels de ses associés.
Cette réalité partagée, étant en même temps riche et pauvre, confère aux puissances émergentes BRICS une empathie directe avec les pays en voie de développement et par extension, leur octroie une importante capacité médiatrice entre le Nord et le Sud.
[1] Vème sommet des BRICS. Déclaration finale et plan d’action eThekwini. Durban, Afrique du Sud. Mars 2013. [En ligne] Disponible sur : http://brics6.itamaraty.gov.br/pt_br/categoria-portugues/20-documentos/77-quinta-declaracao-conjunta
[2] VIème sommet des BRICS. Déclaration et plan d’action de Fortaleza. Fortaleza, Brésil. Juillet 2014. [En ligne] Disponible sur : http://brics6.itamaraty.gov.br/pt_br/categoria-portugues/20-documentos/224-vi-cupula-declaracao-e-plano-de-acao-de-fortaleza
[3] Déclaration de Christine Lagarde, Directrice générale du FMI, sur le Sommet des BRICS. [En ligne] Disponible sur : https://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2014/pr14349f.htm