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De l’abstentionnisme en démocratie

De l’abstentionnisme en démocratie

Le constat se répète désormais, scrutin après scrutin, depuis plusieurs années : l’abstention s’enracine comme tendance lourde dans l’électorat. Et le phénomène n’est pas que français puisqu’une majorité de pays en Europe peut tirer les mêmes conclusions lors d’élections nationales. En dehors des nuances que l’on peut apporter entre chaque type de scrutin, entre leurs tours, entre les zones géographiques par nation, l’abstentionnisme est un comportement aujourd’hui banalisé au sein même des démocraties. Ce qui ne manque pas de poser des questions de fond sur le fonctionnement de celle-ci.

Au cœur d’une démocratie gît un paradoxe constitutif, comme une explosion nucléaire qui permet à une étoile de se survivre. On y voit s’opposer l’expression d’une majorité pour la communauté alors qu’elle suit un amas de logiques individuelles pas forcément conçues en vue d’un intérêt général.

C’est le vote et non l’abstention qui est aujourd’hui le problème véritable pour la démocratie. Le vote est devenu la seule expression du système démocratique, qui n’existe qu’à travers lui devant l’absence d’espace public. 

Tout problème de la démocratie devrait naître d’un déséquilibre entre ces deux forces, et ça n’est donc pas surprenant que l’abstentionnisme soit considéré comme la domination de l’intérêt individuel sur le bien commun.

Il est toutefois malheureux que l’abstention se résume au manque d’envie de se rendre à son bureau de vote. Ça serait prendre le problème à l’envers, où l’abstention serait une cause.

Car c’est le vote et non l’abstention qui est aujourd’hui le problème véritable pour la démocratie. Le vote est devenu la seule expression du système démocratique, qui n’existe qu’à travers lui devant l’absence d’espace public. Il est normal qu’à chaque fois que l’on tâte le pouls démocratique via ces scrutins réguliers, on constate que l’organisation politique n’affiche pas une grande santé.

La démocratie ne se résume pas au vote. Les Grecs sous l’Antiquité s’en méfiaient même au point de laisser au hasard le choix de certains hauts magistrats.

© Daquella manera - Flickr

Périclès – Photo : © Daquella manera

Et si le vote dans nos Etats-Nations moderne devait devenir notre interprétation moderne d’une démocratie, pour éviter la crise dont l’abstention est le symptôme il faudrait veiller à régler trois problèmes.

D’abord l’état de la presse, qui, émancipée des contraintes économiques devrait assumer un réel rôle de relais dans un circuit d’informations dédiées à la citoyenneté.

Ensuite la professionnalisation de la politique, où la représentativité devient une question de subsistance incompatible avec une confiance durable des commettants.

Et enfin, l’effacement des frontières qui rend la perspective d’un vivre ensemble très abstraite au profit des destinées personnelles.

Ces trois obstacles empêchent de construire cet espace public nouveau, les problématiques soulevées y étant orientées, les intervenants sélectionnés, les conclusions préparées (et non révélées).

Non, l’abstention n’est pas une démission du citoyen. Le vote n’est pas plus légitime simplement parce qu’il est une action, surtout s’il n’est pas informé, pas réfléchi, pas débattu.

Autant de défis appelant un changement de paradigme radical dans la vie politique actuelle. Le regard dévie donc du vote pour se porter vers l’abstention. Elle est questionnée comme on n’a jamais questionné le vote. Et les réponses données sont fausses.

Non, l’abstentionnisme ne fait pas grimper les partis aux extrêmes. Le Portugal est le deuxième pays d’Europe le plus abstentionniste lors de scrutins nationaux après la France, et son extrême-droite ne fait pas la moitié d’1% aux élections. Au Royaume-Uni où l’abstention est la troisième plus forte de l’Union, le British National Party dans la deuxième moitié des années 200 a connu une multiplication par dix de ses voix. Justement au cours de cette période l’abstention chutait pour retrouver son niveau le plus bas depuis 1999. Et au-delà de quelques chiffres, il faut rappeler qu’on ne peut jamais présager du vote de ceux qui s’abstiennent.

Non, l’abstention n’est pas une démission du citoyen. Le vote n’est pas plus légitime simplement parce qu’il est une action, surtout s’il n’est pas informé, pas réfléchi, pas débattu.

Non il n’y a aucun parti, en France et ailleurs, qui peut se considérer gagnant face à des taux d’abstention approchant la moitié des inscrits. A un niveau européen depuis plusieurs années maintenant, le véritable premier parti avec la majorité de son côté est l’abstentionnisme. En plus d’une moyenne constante avoisinant les 60% d’abstentionnistes, il faut ajouter le non-vote de ces millions de non-inscrits, sortis ou jamais rentrés dans la citoyenneté et qui pourtant y ont droit (selon les modalités particulières de chaque Etat). Il est par ailleurs intéressant de noter que dans les cas où ils l’intègrent, c’est pour s’opposer à quelqu’un bien plus souvent que porté par l’espoir d’un vent nouveau. A-t-on alors le droit de questionner la valeur d’un vote, lorsqu’il est ainsi motivé principalement par une peur ?

© Sean MacEntee - Flickr

© Sean MacEntee – Flickr

Prompte à vouloir s’émanciper de la loi lorsqu’il s’agit de diffuser les résultats de scrutin avant l’heure autorisée, le journalisme a beaucoup plus de mal à oser enfreindre les règles électorales pour donner une voix à l’abstentionnisme, même si ça signifie violer la confidentialité du vote.

Bien évidemment, remettre ainsi en cause les lois d’airain de ces petits bulletins dans l’urne n’est pas non plus la réponse de la sphère politique, d’où ne semble sortir que l’idée de rendre le vote obligatoire. Une mesure en œuvre en Belgique et qui n’a pas évité le délitement de l’esprit national, mais aussi en Autriche où ça n’a pas empêché l’extrême-droite d’intégrer le gouvernement en 2000, mettant alors le pays au ban de l’Union Européenne.

L’abstention retire aux élus leur légitimité. Obliger à voter reviendrait à voir ces élus se donner eux-mêmes leur propre légitimité. Cela reposerait sur le même principe qui a poussé le maire d’un village en Amérique latine, confronté au manque d’espace dans le cimetière de sa municipalité, à interdire de mourir sous peine d’amende.

S’abstenir met assez tristement en lumière ce que le paysage politique est aujourd’hui capable de proposer. Elle constitue en même temps l’expression de cette conscience chez les citoyens qu’il peut encore en aller autrement, à l’avenir.

A propos de l'auteur

Benjamin Le Roux

Simple rédacteur web indépendant, s'intéresse à peu près à tout, du moment qu'on peut écrire dessus.

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