
Des tensions religieuses de plus en plus vives au Pakistan

Depuis l’attentat survenu le 22 septembre 2013 à l’Eglise de Tous-les-Saints à Peshawar, la communauté chrétienne du Pakistan est sur le qui-vive. Bien qu’ayant l’habitude d’être régulièrement ostracisée par le reste de la population musulmane, c’était la première fois que les chrétiens se trouvaient face à une telle violence. Cet acte terroriste, ayant fait 70 morts, a creusé davantage le fossé entre les deux communautés, brisant l’espoir d’une meilleure interaction confessionnelle. La tolérance religieuse fut pourtant un des principes fondateurs sur lesquels l’Etat fut construit.
Naissance d’un Etat musulman et démocratique
Créé en 1947, le Pakistan se veut rassembler les musulmans indiens, souvent traités comme des citoyens de seconde zone. La partition connait des heures violentes et de chaque côté de la frontière, musulmans, sikhs et hindous sont tués en masse. Chaque confession tente alors de « rejoindre l’Etat où leur religion est majoritaire »[1] et bon nombre de musulmans fuient alors vers le Pakistan. La partition fait de nombreux morts, et l’Inde, dans un souci de réconciliation nationale, accordera « aux minorités des protections et la liberté de pratiquer et de propager leur religion »[2]. Les fondateurs du Pakistan quant à eux décident de faire de la tolérance religieuse un des principes fondateurs du nouvel Etat, et ce même avant les massacres interconfessionnels. En effet, le 14 août 1947, Mohammed Ali Jinnah, un des leaders du projet pakistanais, s’exprime en ces termes : « Vous pouvez appartenir à toute religion, caste ou croyance, cela n’a rien à voir avec les affaires de l’État. […] Nous démarrons avec ce principe fondamental : nous sommes tous citoyens, tous citoyens égaux d’un même État »[3].
Une instabilité politique qui modifie l’équilibre religieux

Général Zia – © Getty images
Dès le début, les choses se compliquent et le Pakistan est rapidement confronté à l’instabilité politique. Cependant, il faudra attendre 1973 pour que le paramètre religieux soit modifié, avec l’Islam affirmé comme religion d’Etat. Pour autant, même à ce moment, la liberté religieuse est toujours mise en avant, au travers notamment de l’article 20. Mais l’arrivée au pouvoir en 1979 du général Zia changera la situation du tout au tout. Contrairement à son prédécesseur Zulfikar Bhutto, promoteur de la laïcité, Zia se veut le défenseur d’un Etat islamique. C’est à lui que l’on doit la promulgation de la loi anti-blasphème, aujourd’hui sévèrement critiquée par les associations de défense des minorités religieuses.
Un obscurantisme de plus en plus difficile à contrer
Cette loi bénéficie du soutien des islamistes, qui sont prêts à tout pour empêcher son abrogation, souhaitée par des nombreux libéraux. Ceux-ci la considèrent comme un véritable instrument d’oppression. La condamnation à mort de la chrétienne Asia Bibi en 2010, accusée de blasphème, avait poussé des responsables politiques tels que Salman Taseer, gouverneur du Punjab mais aussi Shahbaz Bhatt, ministre des Minorités, à se mobiliser. Ils ont tous les deux été assassinés en 2011 en plein cœur de la ville d’Islamabad. Devant la recrudescence d’actes violents contre les minorités religieuses, nombreux sont ceux qui cherchent à quitter le Pakistan, tels que les chrétiens. Malheureusement pour eux, ils « seraient désormais inscrits sur les listes ECL (Exit Control Lists) présentes dans les aéroports, rédigées par le ministère de l’intérieur pour interdire la sortie du territoire aux personnes recherchées par la loi ou tentant de fuir »[4]. Par ailleurs, les dénonciations pour blasphèmes sont en augmentation, avec une « hausse de plus de 200% »[5]. Les chrétiens vivent donc dans la peur, se sentant chaque jour la proie possible des pires agressions. Les autorités de leur propre pays les rejettent, faisant briser en mille éclats le projet originel du Pakistan. L’islamisme est devenu une clé de voûte de la politique pakistanaise, contribuant à plonger le pays, aujourd’hui considéré un des plus dangereux du monde, dans le chaos.
[1] http://www.herodote.net/16_aout_1946-evenement-19460816.php
[2] (C), Clémentin-Ojah, Les Chrétiens de l’Inde : entre castes et églises, Albin Michel, 27 février 2008,
[3] (J-L), Racine, « Le paradigme pakistanais », Hérodote, La Découverte,n°139, 2010/4, http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=HER_139_0003
[4] (G), Bertrand, « Les chrétiens empêchés de quitter le pays », http://www.aleteia.org/fr/international/article/pakistan-les-chretiens-empeches-de-sexiler-5901747126009856
[5] Idem