
Ces Européens qui partent pour le djihad: comment expliquer leur engagement ?

Depuis quelques semaines maintenant se multiplient les histoires de jeunes gens ayant abandonné leurs familles pour partir combattre aux côtés des djihadistes en Syrie et en Irak. Et dans bien des cas, c’est un départ qui surprend l’entourage, car rien ne laissait présager une telle décision. Pour expliquer ce phénomène, certains analystes évoquent un véritable « lavage de cerveau » opéré au travers notamment des médias sociaux par des cellules terroristes. Pour d’autres, il vaudrait mieux poser le problème en termes identitaires.
Le djihad 2.0 : arme de propagande massive
Pour convaincre efficacement de la nécessité du djihad, la stratégie la plus souvent choisie est celle de choquer par la diffusion de vidéos des combats. Mais nous ne parlons pas ici de vidéos anodines. Une véritable stratégie de communication est mise en place puisque ce qu’il faut montrer avant tout, c’est la violence des combats et le courage des djihadistes, afin de faire naître de la fascination chez celui ou celle qui regarde la vidéo. Les vidéos relèvent la plupart du temps d’une savante mise en scène et n’ont aucune qualité informative, malgré les dires des combattants.
Twitter est également un outil de propagande important pour les djihadistes. EIIL y communique beaucoup, et même si son compte est supprimé régulièrement, il arrive toujours à réapparaître sous un autre pseudo. Il existe même aujourd’hui une application Twitter en arabe surnommée « L’Aube de la bonne nouvelle »permettant à l’utilisateur de connaître toute l’actualité du groupe et d’intégrer au mieux la vie du groupe.
La stratégie de communication des djihadistes est rôdée, et d’après le nombre de combattants étrangers participant au djihad, elle semble fonctionner. Mais elle n’explique pas tout.
Religion ou rébellion : des combattants en mal d’identité
Souvent très jeunes, ces nouveaux djihadistes sont souvent en quête identitaire, déçus par la société dans laquelle ils vivent. Des raisons sociales et économiques sont aussi à prendre en compte pour expliquer le sentiment d’exclusion qu’ils ressentent. Nicolas Hénin, un des quatre journalistes otages en Syrie et libérés en avril évoque par exemple la ville belge de Vilvoorde, touchée de plein fouet par le chômage et qui apparaît comme un terrain propice à la radicalisation puisqu’on compterait un nombre important de djihadistes originaires de ce coin de Belgique. Et la religion dans tout ça ? L’émission 28 minutes diffusées sur Arte a récemment donné la parole à Nicolas Hénin, Martin Pradel, avocat de djihadistes incarcérés de retour en France et Anne Giudicelli, consultante et fondatrice de Terrorisc, cabinet de conseil spécialisé dans les risques politico-sécuritaires. Tous les trois ont mis en avant que la religion arrivait bien derrière la question de la quête identitaire et du sentiment d’exclusion. De plus en plus, ce sont de nouveaux convertis qui rejoignent les rangs des djihadistes et non des musulmans rejetant une société basée sur des valeurs jugées contradictoires à la pratique de leur foi.
Créer une porte de sortie pour les djihadistes repentis
Depuis quelques semaines, l’idée circule que les djihadistes de retour dans nos pays représenteraient une menace terroriste. Si celle-ci ne doit pas être négligée, il faut aussi réfléchir à des systèmes de réintégration car beaucoup sont ceux à revenir écœurés de ce qui se passe sur place. Lorsqu’ils, mais aussi de plus en plus elles, ont pris la décision de combattre pour le djihad, c’était dans le but de libérer leurs « frères et sœurs » d’une véritable oppression. Mais malheureusement, certains témoignages montrent que sur place, ce sont en fait des cellules djihadistes qui se livrent une guerre sanglante, c’est-à-dire des musulmans qui tuent d’autres musulmans. Le gouvernement américain vient d’ailleurs de mettre en place une campagne préventive intitulée « Réfléchis-y à nouveau et rebrousse chemin » (Think again, Turn away) qui tend à dénoncer la propagande djihadiste en insistant sur l’idée de guerre fratricide.
Tous les djihadistes ne doivent pas être mis sur le même tableau, et pour cela, il est important de mettre en place, lors de leur incarcération une fois de retour au pays, une politique de réintégration compréhensive avec des travailleurs sociaux et des psychologues à même de décrypter les problématiques identitaires évoquées plus haut et de faciliter la réhabilitation des « repentis ». Mais le travail doit aussi s’opérer en amont, en étudiant scrupuleusement le phénomène de radicalisation. L’Union européenne travaille de plus en plus sur cette question et a ainsi créé un réseau européen de sensibilisation à la radicalisation afin de mettre en commun les bonnes pratiques des Etats membres et de laisser la parole aux spécialistes européens de la question. Ces dernières années, on a aussi vu émerger des programmes de déradicalisation censés prendre le problème à la racine. Le but est de prévenir le risque terroriste en repérant, soit en prison, soit au travers de centres sociaux par exemple une personne susceptible de tomber dans la radicalisation et d’entamer avec elle un véritable dialogue pour la faire changer d’idée. Une nouvelle fois, l’expertise des travailleurs sociaux se montre cruciale pour la réussite de ce type de programmes.
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