
Interview de l’Œil de Ken: Un regard artistique sur la rue et ceux qui y vivent

Bien plus qu’un simple photographe amateur comme il aime se décrire, Ken est un artiste accompli qui donne de la visibilité à ceux que l’on ne veut plus voir. A travers cette série de photos sur les sans abris, Ken nous livre un témoignage à la fois touchant et plein d’humilité. Pour tenter d’en savoir plus sur son parcours personnel et les profils de ceux qu’il a photographiés, Impact Magazine a souhaité l’interviewer. Rencontre avec l’Œil de Ken.
Quelles sont vos motivations pour aborder les sans abris ?
« Mes principales motivations pour aborder ces personnes photographiées sont de leur donner une image, de les faire sortir de l’anonymat, de les faire connaître devant un grand public. Souvent on ne s’arrête pas pour discuter avec ces gens-là.
De temps en temps on leur donne une pièce, c’est un don un peu anonyme, et derrière ces personnes qui vous demandent de l’aide se cache une personnalité, une histoire, un vécu, et un avenir.
Mon principal projet c’est de donner au public, et aux gens qui suivent ma page, ce que je vois à travers eux, c’est à dire de belles personnes que la vie a malmenées, ou qui ont décidé de partir sur la route. »
Pourquoi vous investissez-vous dans ce projet ?
« De par mon histoire et mon éducation, j’ai toujours grandi dans le don, j’ai jamais eu grand chose mais je n’ai jamais manqué de rien. Quand tu as à manger pour un, tu as à manger pour deux… »
Ces échanges vous ont-il enrichi ?
« Personnellement ça m’a enrichi, j’ai pu rencontrer des personnes formidables dans la rue et hors de la rue.
Cela m’a permis aussi de relativiser des malheurs qui me sont arrivés récemment comme la perte de gens proches. Ça m’a surtout ouvert des portes en me faisant prendre conscience que j’avais un œil photographique, un don pour la photo. Grâce à cela j’ai pu monter un projet photo, exposer dans différents endroits sur Bordeaux et d’autres villes en France comme Périgueux, Lyon… »
Ce sont des hommes et des femmes à part entière qu’il faut considérer. Le misérabilisme n’améliore pas leur situation.
Photographier des sans-abris peut il être considéré comme un art de rue ?
« On peut le considérer comme tel, parce que dans mon approche photographique, ma volonté est de les mettre en avant, il y a toute une mise en scène dans ma tête, j’imagine une situation mais je ne demande pas à la personne de jouer la scène.
Ces photos sont prises sur le vif, au naturel, avec une grande spontanéité. Le but recherché est vraiment de les mettre en avant avec une grande simplicité, sans aucune retouche Photoshop. »
En diffusant vos photos sur des réseaux sociaux vous faites sortir ces personnes de l’anonymat en leur donnant une identité. Pensez-vous que cela peut permettre d’améliorer l’image qu’on s’en fait ?
« Je pense que ça permet d’améliorer l’image que le grand public a de ces gens. Eux ont leur image, ils savent ce qu’ils valent, ils n’ont pas besoin d’améliorer leur image. C’est plutôt le regard des autres envers eux qui à besoin d’être changé.
Ces gens ont conscience de leur situation. Ils ont bien plus de ressources que ce que l’on pourrait croire. Il faut savoir que le corps humain est bien plus fort que ce que l’on pense. En cas de grandes difficultés il fait acte de résistance.
Ce sont des gens qui ont quand même des lueurs d’espoir en eux. Il faut arrêter de les voir avec de la peine, ils le ressentent et c’est justement ce qui les dégrade. Ce sont des hommes et des femmes à part entière qu’il faut considérer. Le misérabilisme n’améliore pas leur situation. »
Les gens de la rue sont aujourd’hui mes amis. Avec mes photos j’ai vraiment envie de faire changer l’image que l’on a d’eux.
J’ai remarqué que vos photos ont l’apparence de tableaux, ce qui rend ces visages très expressifs. Utilisez-vous des techniques particulières ?
« Je travaille sans flash, je n’utilise aucune technique particulière, mais c’est vrai que dans mon imaginaire je pense à une composition. Dans mon esprit quand je prends la photo, je vois un tableau. C’est pour cela que ça se ressent un peu. C’est surement dû à ma passion pour le cinéma, j’ai des références visuelles qui m’aident dans ma démarche photographique.
Pour moi, les plus belles photos que j’ai pu faire sont de nuit; il est donc important d’avoir un bon appareil photo, performant qui va aller chercher la lumière. »
Dans votre démarche artistique vous sentez vous aventurier ou juste satisfait ?
« Plutôt aventurier, la photo est quelque chose qui est arrivée très récemment dans ma vie, même si je me suis toujours intéressé à la photo. C’est pour moi une très belle aventure que j’ai envie de continuer. Les gens de la rue sont aujourd’hui mes amis. Avec mes photos j’ai vraiment envie de faire changer l’image que l’on a d’eux. Quand j’embauche et quand je débauche, j’ai toujours mon appareil autour du cou.
Je vais à l’aventure et ça commence par un échange avec un résident de la rue, puis une photo qui débouche sur un portrait. Je me laisse surprendre et je fonctionne beaucoup à l’instinct, même si je reconnais que le fait d’appuyer sur un bouton « un clic » est devenu pour moi une grande dépendance, j’aime photographier, j’en ai besoin, c’est devenu une drogue. »
Quels sont vos projets futurs ?
« J’ai en tête de boucler la boucle avec le projet sur les résidents de la rue par la dernière expo qui aura lieu au Rocher de Palmer à Lormont, rive droite, au mois de Mars. Je suis très fier de pouvoir exposer là-bas car c’est un lieu que j’apprécie énormément. C’est pour moi un lieu de mixité, culturelle, ethnique et religieuse.
J’ai aussi le projet de faire un livre photo qui sortira le 26 février, 110 pages, 55 pages de photos et 50 pages de textes. Le but de ce livre est de mettre en lumière les personnes de la rue, ou les personnes qui ont décidé de faire de la route, ou encore des gens que j’ai croisés dans la rue qui n’y vivent pas mais qui m’ont marqué. Je veux que ce livre puisse donner un point final à ce projet et en profiter pour faire un peu d’argent afin de monter une association. Les droits d’auteurs seront ensuite reversés à une association pour les sans abris.
Le projet futur que j’entamerai au mois de mars-avril sera aussi tourné vers la photo et s’appellera « qu’est ce que franc c’est? ». Le but c’est de montrer la force de notre pays avec ce melting-pot qui, selon moi, est l’avenir de notre pays. J’aimerais bien aller chez l’habitant et prendre en photos leur vie, leurs cultures, leurs origines diverses qui représentent la belle mosaïque qui fait la France. Mon objectif serait de prendre des photos pour lutter contre les préjugés et les stigmatisations que peuvent subir les gens ronds, maigres, de couleurs et de religions différentes… »
Le mot de la fin ?
« J’aimerais bien rajouter un truc, c’est pas méchant mais ça m’énerve un peu. Je ne suis qu’un photographe amateur, des gens pourraient se dire : « mais lui pour qui il se prend ?», mais ça m’énerve que des photographes fassent des pages sur le net sur des photos de filles, qui vont être suivies par des milliers de personnes, je trouve cela vraiment dommage. Je trouve qu’il y a tellement de belles choses et des gens magnifiques dans la rue à prendre en photo. Il y a des mecs qui réalisent de superbes photos dans le milieu du journalisme et qui n’ont pas beaucoup de visibilité et je crois que ces personnes-là devraient être plus reconnues. »
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