
Le Burundi au bord du gouffre ?

Aux lendemains de la victoire très controversée de Pierre Nkurunziza aux élections présidentielles burundaises, et ce dans un contexte de boycott d’une partie de l’opposition et de la population, le Burundi continue de s’enfoncer dans la crise. Retour sur la chronologie d’une descente aux enfers.
Selon des rapports de l’Organisation des Nations Unies (ONU), plus de 150 000 personnes ont récemment fui le Burundi pour se masser dans des camps de réfugiés, principalement en Tanzanie et au Rwanda. En cause ? L’embrasement de la capitale Bujumbura depuis l’annonce du Président Pierre Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat fin avril. Une décision contestée par ses opposants politiques et de nombreux Burundais qui estimaient qu’il s’agissait d’une violation des accords d’Arusha, signés en août 2000 après le génocide rwandais, et de la Constitution burundaise. S’en sont suivis des manifestations ayant fait « plus de 70 morts et plus de 800 blessés » parmi la population civile, selon Gratien Rukindikiza, ancien capitaine de l’armée burundaise, actuel opposant au pouvoir et vice-président du Rassemblement de la diaspora burundaise en France. Ces manifestations, qualifiés d’émeutes orchestrées par des « terroristes » selon le gouvernement en place, n’ont finalement pas empêché la tenue des élections le 21 juillet dernier et la victoire (attendue et critiquée) de Pierre Nkurunziza. Jeune expatriée basée au Burundi, Bianca se rappelle de la manière dont sont montées les tensions à l’approche des élections présidentielles :
Avec le recul, on peut se dire qu’il y a toute une série d’évènements qui n’étaient pas signe de sérénité comme le bras de fer au siège du parti d’opposition « Mouvement pour la Solidarité et le Développement » (MSD) où les forces de l’ordre sont intervenues afin de mettre un terme à une réunion « non autorisée ». Les jeunes partisans se sont rebellés, ont pris en otage deux policiers, des tirs ont été échangés. Bilan : plusieurs blessés, des arrestations et la fuite à l’étranger du leader du parti.

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« Des nuits rythmées par les échanges de tirs »
Des manifestations ont débuté quelques jours plus tard. « Des personnes étaient régulièrement derrière des barricades dans des quartiers de Bujumbura, faisant face à la police », se souvient Bianca. « Les nuits étaient rythmées par les échanges de tirs, parfois à l’arme lourde, entre manifestants et autorités. » Ces évènements ont alarmé la communauté est-africaine qui avait demandé un report des élections présidentielles, initialement prévues le 15 juillet, et désigné un médiateur, le président ougandais, Yoweri Museveni. En place dans son pays depuis 1986, – contrairement à son homologue burundais, il avait réussi à faire changer la Constitution ougandaise en 2005 dans le but de briguer un troisième mandat – ce dernier a finalement quitté le Burundi faute de dialogue possible entre les différentes parties.
Tout le monde vit au rythme des rumeurs véhiculées par les réseaux sociaux et des pseudos infos
Si les citoyens burundais réclamaient hier des élections sereines et transparentes, bon nombre d’entre eux ont été déçus le jour J. « Comme en 2010, l’opposition s’était retirée du processus », explique Bianca. « D’autre part, il n’y avait plus d’observateurs internationaux, ces élections n’ont eu de valeur pour personne, sauf pour le gouvernement actuel. »

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L’opposant Gratien Rukindikiza redoute lui une situation « pré-génocidaire » en particulier depuis que « le pouvoir s’est radicalisé et a envoyé la police tirer à balles réelles sur les manifestants ». « Cette violence du pouvoir a poussé beaucoup de jeunes à l’exil ou à la clandestinité » poursuit-il. Un avis que Bianca ne partage pas. A ses yeux, il est « dangereux d’utiliser le terme « pré-génocidaire » qui est susceptible d’attiser la haine ». Particulièrement depuis la fermeture de nombreux médias burundais. « Tout le monde vit au rythme des rumeurs véhiculées par les réseaux sociaux et des pseudos infos », insiste-t-elle.
Le chef des renseignements intérieur assassiné
Le 2 août, le général Adolphe Nshimirimana, ex-dirigeant des services de renseignements, régulièrement présenté comme le bras droit du Président et l’homme fort de la répression des récentes manifestations, était abattu par un tir de roquette. Sept jours plus tard, Valentin Bagorikund, le procureur général de la République burundaise annonçait dans un communiqué posséder l’identité des suspects et en avoir déjà arrêté plusieurs. Il y affirmait également que le véhicule utilisé par les tueurs avait été retrouvé incendié, dans le quartier de Musaga, haut-lieu de la contestation contre le pouvoir en place, selon le quotidien Libération.
Après 10 ans de reconstruction, le Burundi est en passe de retomber dans une crise fratricide qui annihilera toutes les avancées de ces dernières années.
Une annonce suivie par un regain de violence à Bujumbura. Depuis peu, les contrôles routiers ont « été multipliés et beaucoup de personnes ont été arrêtées dans le cadre de l’enquête », annonce Bianca. « Il y a quelques jours, les forces de police ont encerclé le quartier de Jabe, d’où proviendrait les tueurs, et il y a eu des échanges de tirs durant deux heures. Le quartier était encerclé, des habitants contrôlés et des maisons perquisitionnées pour trouver des armes ou des indices. »

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« Une crise fratricide qui annihilera toutes les avancées »
Alors que le parquet vient de lancer un appel à la population pour l’aider à retrouver les assassins d’Adolphe Nshimirimana et que le gouvernement a fait abroger une disposition de l’accord d’Arusha stipulant une juste répartition des postes entre la majorité hutu et la minorité tutsi, Human Rights Watch vient de publier un rapport alarmant. Selon cette ONG, entre avril et juillet 2015, plus de 148 Burundais auraient été arrêtés puis torturés par des forces de polices et des partisans du pouvoir.
Sous le spectre d’une nouvelle guerre civile, la précédente ayant fait 300 000 morts entre 1993 et 2006, des milliers de personnes continuent de fuir le pays. « Le Burundi va se paupériser et beaucoup de cadres vont le quitter. C’est une descente aux enfers » explique Gratien Rukindikiza. « Il est difficile de travailler, les activités tournant au ralenti du fait de la situation », confirme Bianca. « Après 10 ans de reconstruction, le Burundi est en passe de retomber dans une crise fratricide qui annihilera toutes les avancées de ces dernières années. C’est ce qui me rend le plus triste… »