
Sans-papiers et travail dissimulé

Chaque année, des milliers de migrants arrivent en France pour y travailler et dénicher une vie meilleure. La réalité est pourtant nettement moins rose. En attendant une régularisation qui ne viendra peut-être jamais, la plupart de ces sans-papiers sont souvent sous-payés et exploités. Trois d’entre eux reviennent sur leurs parcours.
S’armer d’un dossier de régularisation complet
En France, on estime qu’entre 300 et 400 000 sans-papiers résident sur le territoire. Nombre d’entre eux tentent d’obtenir une régularisation par le biais du travail. Mehdi, arrivé du Maroc à 18 ans en 2002, est passé par là. Travaillant au noir comme peintre en bâtiment, il dépose un dossier de régularisation en 2008. Dossier rapidement tamponné « refusé ». « Je ne savais pas vraiment ce que je devais mettre dedans, je n’avais accumulé aucune preuve de ma vie ici », explique-t-il. Le refus est d’ailleurs récurrent pour beaucoup de sans-papiers qui espèrent avoir un titre de séjour grâce au travail. En cause ? Une constitution de dossier loin d’être évidente puisqu’il faut se justifier d’« un contrat de travail ou une promesse d’embauche », d’« une ancienneté de travail de 8 mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou de 30 mois, consécutifs ou non, sur les 5 dernières années » et d’« une ancienneté de séjour significative », selon une circulaire de Manuel Valls datant de novembre 2012.

Manifestation pour les sans papiers – 31 mars 2007 – © Flickr
Problème, les patrons n’ont pas le droit d’embaucher de migrants. Si certains sans-papiers peuvent trouver un emploi grâce à un récépissé de dépôt de dossier, la majorité est contrainte de travailler au noir ! D’autant plus que ce dossier se « complexifie chaque année » affirme une bénévole de la Coordination 93 de lutte pour les Sans-Papiers (CSP93, une association aidant les sans-papiers). « Avant une attestation d’hébergement suffisait », poursuit-elle. « Maintenant il faut les impôts locaux de l’hébergeant, mais aussi une preuve de son identité et de paiement de son loyer… Ils les fliquent de plus en plus ».
« Elle voulait m’exploiter car j’étais sans papiers »
Travailler à tout prix
Ces prérogatives et des conditions de vie difficiles poussent donc les migrants à accepter le travail dissimulé. « Même si nous n’en avons pas envie » précise Gilberta. Cette jeune sénégalaise de 26 ans s’est retrouvée à la rue pour avoir refusé d’épouser un homme plus vieux dans son pays. Brutalisée par sa famille, elle a vu en la France un « moyen de fuir » mais a immédiatement été obligée d’accepter des conditions de travail terribles pour éviter de dormir dehors. « J’étais aide à domicile, je gardais une personne âgée 18 heures par jour et j’étais très mal payée », confesse-t-elle avant de continuer : « La personne chez qui je travaillais ne voulait pas me déclarer car ça ne l’arrangeait pas.
Au début je pensais qu’elle allait me donner une preuve de mon travail pour ma régularisation, que j’allais faire le mois et qu’à la fin j’aurais une fiche de paie, comme au Sénégal. Mais elle a commencé par me dire que je devais travailler 3 mois, que cela se passait comme ca… Petit à petit j’ai compris qu’elle voulait m’exploiter car j’étais sans papiers. J’aurais dû gagner 2000 euros par mois et j’en recevais 500, 600 lorsque le patron était gentil ». Rapidement, Gilberta prend conscience de l’illégalité dans laquelle elle bascule, mais doit continuer afin de s’occuper de sa fille. Par la suite, elle devient garde d’enfant à Paris 17ème. « Peu à peu je faisais tout dans leur grand appartement. Je travaillais de 9 à 20h et je devais normalement être payée 1200 euros le mois », indique-t-elle. « Mais en réalité je recevais juste 200 euros, parfois rien… ».

Manifestation de soutien aux sans-papiers – © Flickr
C’est une histoire similaire qu’a vécu Anna, une Moldave de 32 ans devenue femme à tout faire pour une famille du 16ème arrondissement de la capitale lors de son arrivée dans l’Hexagone en 2005. « Au début, je faisais le ménage et par la suite j’ai commencé à faire les courses, à m’occuper du petit garçon pendant la journée puis pendant la nuit…», explique-t-elle. « La dame chez qui j’étais achetait des maisons à Paris, à Bordeaux et sur la côte d’Azur.
Elle employait beaucoup de personnes au « black », seul son majordome était déclaré. Au fur et à mesure, ils m’ont demandé de les accompagner partout. Je devais me coucher très tard pour travailler puis me lever à 7 heures du matin. Je n’étais jamais là et je ne pouvais pas élever mon fils ». Elle poursuit : « Alors que je bossais pour cette famille je suis tombé enceinte de ma fille et j’ai dû travailler jusque la veille de mon accouchement. J’ai repris le travail deux semaines après sa naissance ».
« J’ai été traitée comme un esclave »
Exploitées, les deux femmes subissent aussi humiliations et vexations. Alors qu’Anna avoue avec honte avoir été presque quotidiennement insultée par le fils de son employeuse, Gilberta revient sur son calvaire : « Ma patronne me traitait d’esclave car j’étais sans papiers ». Des insultes, Medhi en a beaucoup connu lui aussi. « Mon employeur me traitait avec plein de noms d’oiseaux et était vraiment méchant. Il me rabaissait et me disait que je ne pouvais rien faire sans lui… » Avec la CSP 93 installée à Saint-Denis, certains découvrent qu’ils ne sont pas seuls et se renseignent sur leur situation. « Grâce à eux, j’ai commencé à comprendre que j’avais aussi des droits », explique Anna qui, comme beaucoup d’autres, a été mise à la porte par sa patronne le jour où elle a obtenu un titre de séjour.

Occupation de la Bourse du travail par les sans-papiers – © Flickr
Si la circulaire Valls a permis d’augmenter le nombre de migrants régularisés l’année dernière, environ 45 000 selon le quotidien « Le Monde », les régularisations par le travail restent minimes : seuls 2 106 étrangers ont pu en bénéficier en 2013. Il existe d’autres moyens d’obtention d’un titre de séjour. Parmi eux, « posséder une vie familiale ou avoir 10 ans de vie sur le territoire », explique une bénévole du CSP 93. C’est sur cela que compte Mehdi pour avoir une vie plus décente. « On va refaire un dossier en 2015 car j’aurais plus de 10 ans de présence en France », annonce-t-il. De son côté, Anna a reçu sa carte de séjour « Vie privée et Vie familiale » grâce son fils né et scolarisé en France depuis trois ans et Gilberta a obtenu le statut de réfugié politique. Néanmoins, cette dernière estime que la lutte « continuera » tant que ses amis seront encore sans papiers. « Tant que l’on retirera des titres de séjour à des régularisés, tant que certains titres de séjour ne donneront pas la possibilité de travailler mais seulement d’être précaire, et tant que des projets de loi répressifs seront envisagés », conclut une bénévole de la Csp93.