
Ubisoft, assassin de l’Histoire ?

A sa sortie, le jeu Assassin’s Creed Unity a bénéficié d’un coup de pouce promotionnel inattendu : une polémique. Prenant place dans le Paris révolutionnaire de la fin du 18ème siècle, cet épisode n’a pas manqué de remuer une histoire qui, bien davantage que d’autres moments, rime avec mémoire.
Assassin’s Creed Unity met en scène un jeune nobliau dissipé qui se trouve embarqué par la Révolution française. De fait il poursuit son histoire, au sein de l’Histoire certes mais qui fournit surtout une toile de fond.
Jean-Luc Mélenchon n’en a pas moins profité pour se dresser contre la lecture des événements révolutionnaires faite par le jeu d’Ubisoft. On peut sans doute l’accuser de profiter du buzz d’un jeu aux allures de blockbuster, pour la sortie duquel même les médias traditionnels ont frétillé. Il serait toutefois difficile de lui reprocher un manque de culture historique. De même que la lecture du jeu vidéo est bien le reflet d’une certaine vision de la période, la susceptibilité du créateur du Front de Gauche est aussi le produit d’un certain contexte.

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La Révolution française capte l’attention parce qu’elle imprègne la culture actuelle, aussi vidéo-ludique désormais. Trois exemples notables témoignent de sa dimension symbolique.
La Marseillaise tout d’abord, hymne national sanglant, guerrier, dont les sept couplets ne sont guère connus aujourd’hui que par les militaires.
Ensuite, le drapeau français, rattaché aujourd’hui au régime républicain alors que l’une de ses couleurs identifiait la monarchie.
La fête nationale du 14 juillet enfin, qui reprend la date de la prise de la Bastille. À noter que Jean-Luc Mélenchon a pointé du doigt l’attitude du peuple dans Assassin’s Creed Unity, jugé primitif et violent. Le même peuple qui lors de la fameuse attaque a décapité le gouverneur de Launay une fois fait prisonnier, celui qui plus tôt refusa de tirer sur la foule en début d’assaut. Ces symboles font désormais consensus, parfois auprès d’un public politique très très loin des valeurs de départ.
A côté des symboles la Révolution française reste un terrain glissant, même lorsqu’il s’agit de quelque chose d’aussi périphérique qu’un jeu vidéo. Probablement parce qu’elle concentre des conflits souvent larvés mais en rien consensuels cette fois. Pour s’en rendre compte il suffit de regarder du côté d’un personnage en particulier, par ailleurs cher à Jean-Luc Mélenchon et (mal)traité dans Unity, à savoir Maximilien de Robespierre.
Toute une littérature existe à propos des personnages centraux de la période. Robespierre dispose aussi d’une bibliographie consacrée. Seulement il n’y a que dans celle-ci qu’on trouve l’intervention d’un psychanalyste chef des hôpitaux, qui s’est mobilisé pour dessiner un diagnostic psychologique a posteriori. Sans même évoquer les conclusions, l’aspect totalement inédit de l’oeuvre conduit à penser à un traitement spécial.
Autre exemple, l’attribution des noms de rue se fait normalement sans heurt. On trouve sans problème des rues Lafayette, du nom du déserteur. Et dans les villes de la côte atlantique, anciens ports du commerce triangulaire, des noms de marchands d’esclaves ornent aussi des rues, parce que c’est de l’histoire. Lorsqu’il s’agit de Robespierre, la seule proposition de ce nom pour une rue à Paris provoque d’interminables débats municipaux n’aboutissant d’ailleurs jamais.

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Si l’histoire doit répondre à la morale, que dire alors de l’exposition dont jouit le tombeau de Napoléon, certaines peintures de Goya montrant que d’un côté ou de l’autre des Pyrénées le concept de « gloire » n’a pas exactement le même sens. Et quid de la liste sur l’Arc de triomphe à Paris, où figure les noms comme Dumouriez, passé à l’ennemi en 1793, ou encore Turreau l’infernal ?
Toute morale mise à part, ne serait-ce que chronologiquement Robespierre est extrêmement représentatif de la période révolutionnaire. Il fournirait un excellent cas d’étude typique de ce que fut la Révolution française dans son aspect grandement romantique comme bassement politique. Or persiste autour de son histoire un cordon sanitaire vis-à-vis du grand public. Ce constat pousse à l’idée d’une distance entre la forme de notre culture via les symboles, et son fond, ce qu’on a retenu des événements.
Ici, comme Ubisoft n’a pas pour but de produire de l’Histoire, Assassin’s Creed Unity n’assassine rien. Le jeu ne fait que répercuter cette superposition de mots forts, comme « liberté » ou « peuple », et d’une lecture un peu stéréotypée qu’il sait capable de rencontrer un public parce que répandue. Une lecture encore trop proche de Michelet, aussi binaire qu’Assassin’s Creed opposant templiers et hashashins, et trop rattachée à des enjeux politiques du moment.
C’est peut-être là où pèchent Jean-Luc Mélenchon ainsi que les historiens, surtout ceux ayant travaillé avec Ubisoft. Malgré de nombreuses publications de premier plan, la légende noire de Robespierre comme bien d’autres choses persiste dans les mentalités. Toutes les nuances de la Révolution française ne sont pas sorties des universités.